Saint Paul Miki et ses compagnons martyrs, 1597.
Si le nom de Nagasaki évoque pour le monde entier la déflagration atomique du 9 août 1945, il devrait aussi rappeler aux catholiques les vingt-six croix dressées face à la mer, le 5 février 1597.
Il y avait parmi eux trois jésuites, six franciscains et quinze tertiaires laïcs de saint François et deux enfants. Les jésuites, Paul Miki en tête, ainsi que les tertiaires, étaient des indigènes ; les franciscains, sauf un, étaient des Espagnols. Aucun des jésuites n’était prêtre ; trois franciscains l’étaient, notamment Pierre-Baptiste, leur supérieur, la plus forte personnalité du groupe, qui passait pour un saint. Ce fut lui qu’on crucifia le dernier.
Une des plus dures persécutions qu’aient essuyées les chrétiens du Japon est celle de Taicosama [sous couvert d’unifier le pays en voulant limiter l’influence des étrangers – dont les chrétiens -]. En 1587, cet empereur prit un décret bannissant les jésuites de ses États et en interdisant le christianisme. Non seulement aucun d’eux ne partit, mais, six ans plus tard (1593), il leur vint un renfort d’une quinzaine de franciscains entrés subrepticement dans le pays.
Sur les traces de saint François Xavier, les jésuites et les franciscains avaient profondément enraciné le christianisme dans le sol japonais. Écoles, paroisses, hospices et léproseries témoignaient de la vigueur de cette jeune Église, quand éclate une terrible persécution.
Exaspéré par ce double défi, le shogun Taïcosama ordonna en 1596, d’arrêter tous les missionnaires qu’on trouverait, ainsi que leurs collaborateurs, et de les mettre à mort. Les chrétiens s’enfouissent jusqu’à devenir clandestin. Et en février 1597, vingt-six chrétiens sont arrêtés, dont deux enfants et Paul Miki, premier jésuite japonais. On admire le courage en face de la mort de ces hommes si récemment entrés dans le sein de l’Église.
Ils furent d’abord promenés pendant des semaines de ville en ville sur des charrettes pour intimider les populations, et permettre à ceux qui le désiraient de les outrager.
Ces vingt-six crucifiés reproduisaient l’image de la nouvelle chrétienté japonaise : trois jésuites Paul Miki, Jean de Goto et Jacques Kisoï qui était japonais, et six franciscains (tous les neuf arrêtés à Ozaka le 9 décembre 1596) : Pierre Baptiste, chef de la mission franciscaine au Japon, qui, un jour de Pentecôte, avait guéri une jeune fille lépreuse ; Martin d’Aguire, professeur de théologie qui prêchait en japonais ; François Blanco, prêtre ; Philippe de Las Casas ; Gonzales Garcia, frère convers ; François de Saint-Michel, frère convers. (tous membres de la communauté de Méaco, arrêtés le 31 décembre 1596). Il y avait également dix-sept laïcs, tertiaires franciscains ; Côme Tachegia, Michel et Thomas Cozaki, Paul Ibarki, Léon Carasumo et Paul Suzuki (deux catéchistes et interprètes), Mathias, Bonaventure, Joachim Saccakibara (médecin), François de Méaco (médecin), Thomas Dauki (interprète), Jean Kinoia, Gabriel de Duisco, François Danto et Pierre Sukejiro n’étaient pas sur la liste des arrestations mais, comme ils s’obstinaient à suivre les prisonniers et à les soigner, ils furent arrêtés à leur tour ; et même deux enfants : Louis (onze ans) et Antoine (treize ans).
Puis on les conduisit à Nagasaki où ils furent crucifiés face à la mer, sur une colline.
Lorsqu’ils eurent été crucifiés, ils montrèrent tous une constance admirable, à laquelle les encourageaient, chacun de son côté, le Père Pasius et le Père Rodriguez. Le Père commissaire de la Mission demeura toujours immobile, les yeux dirigés vers le ciel. Le Frère Martin, pour rendre grâce à la bonté divine, chantait des psaumes, en y ajoutant le verset : Entre vos mains, Seigneur.
Le Père François Blanca également rendait grâce à Dieu à haute voix. Le Frère Gonzalve disait très fort l’oraison dominicale et la salutation angélique.
Paul Miki, voyant qu’il se trouvait sur une chaire plus honorable qu’il n’en avait jamais eue, commença par déclarer aux assistants qu’il était Japonais, de la Compagnie de Jésus, qu’il mourait pour avoir annoncé l’Evangile et qu’il rendait grâce à Dieu pour un si éclatant bienfait. Puis il ajouta ces paroles : Au point où j’en suis parvenu, je pense qu’aucun d’entre vous ne croira que je veuille atténuer la vérité. Je vous déclare donc qu’il n’y a aucune voie de salut sinon celle que suivent les chrétiens. Puisqu’elle m’enseigne à pardonner aux ennemis et à tous ceux qui m’ont fait du mal, je pardonne de grand cœur au roi et à tous les auteurs de ma mort, et je les prie de vouloir bien recevoir le baptême chrétien. Puis, tournant les regards vers ses compagnons, il se mit à les encourager dans ce combat suprême. De la joie apparaissait sur le visage de tous, mais spécialement sur le visage de Louis ; lorsqu’un chrétien lui cria qu’il serait bientôt en Paradis, il eut un geste des doigts et de tout le corps qui exprimait une joie profonde et qui tourna vers lui les regards de tous les spectateurs.
Antoine qui était le dernier de la rangée, à côté de Louis, les yeux fixés au ciel, après avoir invoqué les noms de Jésus et de Marie, entonna le psaume 112 : Enfants, louez le Seigneur, [qu’il avait appris à Nagasaki, au catéchisme ; dans cette institution chrétienne, en effet, on donne aux enfants des psaumes à apprendre par cœur en vue du catéchisme] et il eut le cœur percé d’une lance au Gloria Patri, qu’il alla chanter au Ciel.
D’autres enfin répétaient Jésus, Marie avec un visage paisible ; certains exhortaient les assistants à mener une vie digne d’un chrétien ; par ce comportement et d’autres du même genre, ils montraient qu’ils allaient bientôt mourir. Alors quatre bourreaux tirèrent leurs piques des gaines dont se servent les Japonais. A cette vue horrible, tous les fidèles crièrent : Jésus, Marie et le concert de lamentations qui suivit monta jusqu’au ciel. Les bourreaux, en très peu de temps, d’un ou deux coups, achevèrent chacun des martyrs.
Urbain VIII les béatifia en 1627 et Pie IX les canonisa le 8 juin 1862.