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Entretien avec Mgr Olivier de Cagny : « Beaucoup ont faim et soif de Dieu »

Mgr Olivier de Cagny, après avoir été recteur du séminaire de Paris, a été nommé évêque d’Évreux en juin 2023. Nous l’avons rencontré pour cet entretien et le remercions pour son accueil chaleureux

La Nef – Prêtre de Paris, vous êtes devenu l’année dernière évêque d’Évreux, vous vous êtes installé dans un diocèse nouveau pour vous : comment s’est passée votre première année d’épiscopat ? Quels sont les grands défis d’une telle installation ? 


Mgr Olivier de Cagny – Je suis vraiment très heureux dans cette mission qui m’a été confiée. L’accueil que m’ont réservé les prêtres, les diacres et tous les collaborateurs laïques m’a beaucoup aidé. Je remercie aussi mon prédécesseur, qui m’a transmis le flambeau avec un grand sens des responsabilités et avec humilité, dans un bel esprit de charité fraternelle. Il me fallait bien sûr découvrir un diocèse rural, alors que je suis issu d’un milieu et d’une famille très « parisiens » depuis des siècles. On me dit souvent : « ça a dû vous changer ! » Mais paradoxalement, je n’ai pas eu le sentiment que cette découverte soit si difficile que cela. Je connaissais déjà la Normandie où mes parents s’étaient connus pendant leurs vacances et où j’ai moi-même passé toutes mes vacances d’enfance. Les routes du sud de l’Eure et l’autoroute A13 au nord m’étaient déjà très familières. Mais surtout, je me suis vite passionné pour ce territoire, son histoire, sa géographie, naturelle et humaine, et pour ce diocèse dont j’ai découvert peu à peu les richesses et les pauvretés. Bien sûr, le principal défi est spirituel : quand le Nonce m’a dit que le Pape me demandait d’être évêque d’Évreux, quatre mots me sont venus à l’esprit : apôtre, servir, martyr et célibat, car j’avais bien conscience dès les premiers jours que ma vie était résolument livrée à Dieu et à l’Église pour que la mission confiée par Jésus aux Douze se continue aujourd’hui et demain : annoncer et célébrer le salut avec courage et persévérance.

Comment un évêque peut-il aujourd’hui incarner une figure paternelle pour les prêtres de son diocèse ? Quelles relations souhaitez-vous tisser avec le clergé confié à vos soins ? 

J’ai voulu très vite rencontrer vraiment les prêtres : tous ensemble à trois reprises dans l’année, et chacun personnellement, chez lui, avec un temps de prière, un repas et un long entretien en tête-à-tête. J’ai essayé de les écouter vraiment, sans plaquer ce que je connaissais de la vie à Paris des prêtres ou des séminaristes. Les prêtres sont mes premiers collaborateurs. Ils m’ont précédé sur les chemins de l’évangélisation de cette région, parfois depuis de longues années ; mais je dois aussi marcher devant, conduire avec eux le peuple de Dieu, montrer le chemin. Comme le dit le Concile Vatican II, je veux être pour eux un père, un frère et un ami. Je vois dans la dimension paternelle le souci d’assurer à chaque prêtre les moyens, matériels mais surtout spirituels, d’accomplir la mission que je lui confie. J’essaie aussi d’être le plus franc possible et bienveillant envers eux et je suis heureux de constater qu’ils le sont aussi avec moi. Enfin, je les invite à des journées de récollection avec moi dans la magnifique abbaye du Bec-Hellouin.

Vous avez distribué à tous les catholiques de l’Eure un petit livret pour les encourager à ouvrir davantage l’église de leur village et à venir y prier régulièrement, hors horaire de la messe dominicale : qu’est-ce qui vous inspire cette démarche ? Qu’en attendez-vous ?  

Nos églises de campagne ne sont pas seulement des joyaux du patrimoine de notre pays. Elles sont aussi le témoignage de la foi de nos ancêtres qui les ont construites et décorées et qui y ont prié. J’invite donc les chrétiens à considérer l’église de leur village comme si elle était une pièce supplémentaire de chacune de leurs maisons, où Dieu habite et où il nous donne rendez-vous régulièrement. En la regardant ainsi, ils auront peut-être envie de l’ouvrir une fois par semaine, ne serait-ce que pour y prier à quelques-uns. En semaine, car le dimanche je préfère que tous se retrouvent à la messe paroissiale.
Certains ont peur de ne pas savoir bâtir un temps de prière en l’absence de prêtre. C’est pourquoi nous leur proposons un feuillet proposant cinq manières simples de prier à plusieurs : le chapelet, l’adoration du Saint-Sacrement, la liturgie des Heures (laudes, vêpres), un temps de louange et d’intercession, ou encore la méditation partagée de la Parole de Dieu.

Vous avez lancé l’initiative d’une marche-pèlerinage sur les routes de l’Eure, répartie sur toute une année, en dix étapes, pour traverser tout le diocèse, invitant tous vos fidèles à se joindre à vous : pourquoi cette marche ? Quels en ont été les fruits ?

Le premier fruit de ces marches est une meilleure connaissance du diocèse. Le rythme lent du marcheur permet de contempler notre terre bénie par des siècles de chrétienté, et les pauses que nous faisons dans quelques-unes des 650 églises de ce diocèse nous donnent de mesurer l’ampleur du trésor que nous avons reçu. Ici, une statue de la Vierge ou d’un autre saint témoigne d’un véritable art « populaire », très simple et très beau, né de la prière et de la foi et qui y ramène. Là un Christ en bronze du XIe siècle nous tend les bras dans une petite église souvent fermée. Une femme maire d’un petit village m’a dit un jour son émotion de voir « son » église remplie de 150 personnes, joyeuses et paisibles, dansant après la messe sur un chant soutenu par un orchestre de jeunes. Je n’oublierai jamais la sortie de cette messe, tandis que le soleil rasant de ce soir d’hiver faisait flamboyer les pierres de cette église romane. Je n’oublierai pas non plus ce catéchumène encore jeune, entouré de ses amis, qui m’avait demandé à cet endroit de le bénir tout spécialement, et dont j’ai appris la mort quelques semaines plus tard. Il prie pour nous, j’en suis sûr.
En marchant ainsi, je me suis souvent dit : mon Dieu que la France est belle, habillée de ce merveilleux tissu d’églises, de cathédrales et de monastères ! Qu’avons-nous fait de cet héritage extraordinaire ? J’ose espérer que la culture chrétienne n’est pas morte. Elle est comme un champ en plein hiver : apparemment vide mais tellement prometteur.
Je vois un autre intérêt à ces marches que nous continuons cette année en traçant l’autre diagonale, cette fois-ci du Nord-Est au Sud-Ouest : offrir une occasion supplémentaire de vivre la réalité synodale, c’est-à-dire marcher ensemble en se parlant sous le regard de Dieu, des saints et des anges qui accompagnent tout pèlerin, faire connaissance des charismes et des questions des autres, s’écouter mutuellement en avançant dans la même direction. Une équipe prépare le tracé de chaque marche (entre 10 et 15 km), prévient les curés et les maires. Nous entrons dans la logique du pèlerinage : le déplacement extérieur, physique, signifie et suscite un déplacement intérieur, spirituel. On y chante, on y prie le chapelet, on y cause, et nous faisons aussi une étape en silence. Dieu parle au cœur et ouvre les cœurs. La beauté de la nature invite à louer le Créateur.
J’ai proposé que trois intentions de prière soient portées à chacune de ces marches : la consolation de ceux qui souffrent, les catéchumènes et les vocations sacerdotales.

Quelle place peut occuper la prière dans une vie d’évêque ?

J’ai choisi de garder une heure chaque matinpour prier l’office puis passer un long temps devant le tabernacle. Dans le silence de l’aube, j’invoque l’Esprit-Saint en disant le Veni Sancte Spiritus puis je prends un temps d’oraison appuyé sur l’écoute de la Parole de Dieu. Cet enracinement est indispensable pour ma mission. Je garde un moment pour intercéder, pour prier pour mon diocèse. Je confie les petits, les pauvres, les malades à la miséricorde de Dieu.
Mais j’essaie de prier aussi, même brièvement, de façon très régulière tandis que se déroule la journée : avant un rendez-vous important ou plutôt au début de celui-ci, j’invoque encore l’Esprit Saint. Avant de présider la célébration d’une messe, j’appelle à l’aide mes amis du ciel, les saints que je préfère : Charles Borromée, François de Sales et Vincent de Paul, Thérèse de Lisieux et ses parents, Jean-Paul II et les saints de mon diocèse.
Je demande souvent pour moi et pour tous la grâce d’éprouver dans notre cœur les mystères de la vie du Christ. Je repense à la parole rituelle que prononce l’évêque au diacre qu’il ordonne : « Sois attentif à croire à la Parole que tu liras, à enseigner ce que tu as cru, à vivre ce que tu auras enseigné ».
La Vierge Marie est là, toujours. Elle a mis au monde le Christ, elle nous met aussi au monde, nous aide à entrer dans le monde de Dieu.
La célébration des sacrements me permet enfin de goûter la présence de Dieu en le laissant agir. J’y ai été particulièrement sensible cette année en célébrant toutes les confirmations. Enfin, je rends grâce à Dieu pour ce beau geste par lequel je signe de la croix les fidèles lors des processions d’entrée et de sortie de nos célébrations. J’y contemple la bonté du Seigneur qui descend sur nous tous.

Nombre de diocèses sont confrontés aujourd’hui à de grandes difficultés d’organisation, en raison du nombre décroissant de prêtres : comment voyez-vous l’avenir ? Quelles seraient les éventuelles réformes à mener pour affronter ce défi ?

Nous ne pouvons plus prétendre « couvrir » un territoire avec quelques prêtres disséminés ici et là dans une solitude excessive, et pourtant je veux que personne ne se sente exclu de l’attention pastorale des prêtres. Il nous faut donc affronter cette situation de crise avec une sainte inquiétude, en ayant le courage de conjuguer angoisse et espérance, humilité et audace, modestie et enthousiasme, patience et détermination. Ce monde dans lequel nous vivons est celui que Dieu aime et veut sauver, et il faudra toujours des prêtres pour annoncer et célébrer la réalité de ce salut. Si nous restons accrochés à cette Tradition fondamentale et si prêtres et laïcs portent ensemble cette mission selon l’esprit de la synodalité voulue par le Saint-Père, comme des frères et sœurs attachés résolument au Christ et désirant communier à sa mort et à sa résurrection, il y aura des vocations. Si nous enseignons bien ce qu’est le prêtre, pasteur chargé de conduire le troupeau, de prêcher l’Évangile et de célébrer les sacrements, il y aura des prêtres. J’en suis certain. La crise des vocations vient principalement de notre manque de foi.
Plusieurs diocèses ont décidé une refonte profonde de la carte des paroisses qui deviennent des « pôles » pastoraux d’évangélisation confiés à trois ou quatre prêtres vivant ensemble. Pourquoi pas ? Mais je veux d’abord prendre le temps de bien connaître et écouter les prêtres et les laïcs engagés. La principale réforme que je souhaite, c’est que prêtres et laïcs accomplissent vraiment leurs missions propres en se respectant mutuellement, et qu’ainsi nous puissions mieux ajuster le don du ministère sacerdotal en synergie avec la mission des baptisés.
Je voudrais ajouter ici brièvement trois autres points qui me semblent essentiels et primordiaux : la prière pour les vocations sacerdotales, qui doit être constante, confiante, persévérante, presque obstinée ; la formation, qui est l’axe central de ma vision pour le diocèse dans les mois et les années qui viennent ; enfin la mise en place progressive des ministères institués que nous propose le Pape. Il nous faut apprendre à reconnaître des charismes particuliers chez des hommes et des femmes qui pourront être appelées à devenir, au nom de l’Église et en relation avec l’évêque, des « ministres » de la Parole de Dieu (lecteurs), des serviteurs de la préparation aux sacrements et de leur célébration (acolytes) et des transmetteurs de la foi et de la vie chrétiennes (catéchistes). Ces ministères reconnus, sanctifiés par la prière de l’Église au cours d’une célébration liturgique, soutiendront les ministres ordonnés et mettront davantage en œuvre le sacerdoce royal des baptisés.

Les beaux chiffres de baptêmes d’adultes publiés par la CEF à Pâques dernier ont réjoui beaucoup de catholiques : comment les analysez-vous ?

Bien sûr, un certain nombre de catéchumènes se présentent comme des « retardataires » : leurs familles, bien que de culture chrétienne, ont laissé passer le moment où leurs enfants pouvaient être baptisés dans leur plus jeune âge. Beaucoup d’autres cependant, à qui l’on avait déroulé un tapis rouge devant la porte, entrent par la cheminée, par les fenêtres, par les fissures du mur. Ils ont soif, ils ont faim, ils n’en peuvent plus. Le monde coupé de Dieu les déçoit, parfois même les écœure. Les voici en retraite dans un monastère qui n’a plus de vocation, ou entrant au fond d’une église pour assister à une messe du dimanche avec quelques personnes âgées, et le désir du baptême jaillit comme une étincelle qui met le feu au cœur.
Le XXIe siècle serait-il religieux, comme on l’a fait dire à André Malraux ? En tout cas, le monde est plus attiré par la religiosité païenne qu’indifférent ou hostile. Nos contemporains sont prompts à se livrer à toutes sortes de croyances et de pratiques plus ou moins ésotériques (druidisme, magie, sorcellerie…). Or le paganisme est une impasse, il ne rend l’homme ni plus fort ni plus heureux. Il met en lumière « le drame de l’humanisme athée » (Cardinal de Lubac). Tel est le monde dans lequel vivent ceux qui frappent à la porte de l’Église. Par quels chemins sont-ils passés ? Cela nous échappe en partie, et je crois que c’est bien ainsi. Dieu nous rappelle qu’il a l’initiative, que nous sommes des serviteurs quelconques. Les catéchumènes sont souvent appelés par Dieu à travers des médiations auxquelles nous étions peu habitués : un ami de leur âge les amène à l’église et les voilà touchés, ou bien la curiosité les a conduits à rechercher sur les réseaux sociaux des informations sur la foi chrétienne et ils sont tombés sur de bons influenceurs catholiques, peut-être stimulés par l’intercession du bienheureux Carlo Acutis. Je considère que cet afflux de demandes de baptême est une parole que Dieu nous adresse. Allons-nous l’entendre ? Sommes-nous formés et préparés pour accueillir ces nouveaux catéchumènes ? Allons-nous leur proposer une soupe tiède ou le feu de l’Esprit et le festin du Royaume des cieux ?

Vous avez été à la tête du séminaire de Paris avant d’être nommé évêque : y a-t-il un besoin de réforme dans l’organisation des séminaires diocésains ? Y a-t-il des chantiers prioritaires ? Le succès des parcours hors diocèse (Communauté Saint-Martin, Fraternité Saint-Pierre…) doit-il interroger sur les séminaires diocésains ?

Deux écueils antagonistes doivent être évités dans la formation des futurs prêtres : d’un côté une réponse trop immédiate aux souhaits d’une génération qui recherche le modèle qui attire, qui plaît, et de l’autre côté l’ignorance de ce que l’Esprit Saint nous dit à travers ces désirs exprimés par les jeunes. Dire qu’on ne change rien parce qu’on a « toujours fait comme ça » est illusoire et dangereux. Grâce en partie à l’audace spirituelle du Cardinal Lustiger, qui m’a ordonné prêtre en 1992, les séminaires ont peu à peu intégré ses choix : une année de préparation spirituelle avant le séminaire, la vie des séminaristes en « maisons » de 8 à 12 membres, le tutorat dans les études, la primauté de l’étude de la Parole de Dieu.
En 2022, les évêques de France ont achevé la rédaction de l’adaptation française de la Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis publiée par Rome en 2017. Le texte français de cette sorte de charte de la formation au ministère sacerdotal dans l’Église catholique porte un titre significatif et stimulant : « Former des prêtres pasteurs et missionnaires ». Le document est très complet et précis et contribue au renouvellement des séminaires de France. Le programme ainsi dessiné est solide, ancré dans la foi, réaliste et ambitieux.
D’autres parcours sont pratiqués dans d’autres séminaires qui ne sont pas spécifiquement diocésains, et semblent attirer davantage de vocations. Mais comparer les chiffres est trompeur, car ces lieux de formation rassemblent des candidats de toute la France et d’autres pays. En réalité, il y a plus de séminaristes dans les séminaires diocésains que dans les séminaires de la Communauté Saint-Martin et de la Fraternité Saint-Pierre réunis. Et je peux témoigner que dans les séminaires diocésains nous attachons beaucoup d’importance à la beauté et à la dignité de la liturgie, à la clarté d’une doctrine fidèle à la Tradition vivante de l’Église (des Apôtres au Pape François). Je sais aussi que nous devons nous méfier de quelques illusions : le latin, l’obéissance scrupuleuse aux rubriques du missel, le col romain ou la soutane ne font pas la sainteté de celui qui les porte. Et si je mesure de plus en plus l’importance de la fraternité vécue quotidiennement entre les prêtres, et pour certains dans une forme de vie vraiment communautaire, je sais aussi que la solitude bien assumée peut être, comme le célibat, un témoignage de l’amour universel de Dieu qui peut combler une vie. Je crois aussi à la fécondité spirituelle et missionnaire des liens entre un prêtre et le territoire de « son » diocèse, entre le prêtre et « son » évêque, dans la durée. Nous avons appris enfin à nous méfier des « modèles » qui semblent parfaits et qui ne tiennent pas toujours dans la durée.
Cela dit, je pense que les séminaires diocésains ne sont plus du tout dans une logique de concurrence avec des séminaires jugés plus classiques ou plus traditionnels. Ils travaillent beaucoup ensemble, ainsi qu’avec des Instituts comme Notre-Dame de Vie ou des sociétés de vie apostolique comme la Société Saint Jean-Marie Vianney, avec la Communauté de l’Emmanuel et le Chemin néocatéchuménal. Et finalement, malgré nos différences légitimes liées à tel ou tel charisme particulier, nous sommes tous confrontés aux mêmes défis urgents : la formation humaine, qui doit permettre aux futurs prêtres de se présenter à l’ordination avec une humanité, une personnalité, une affectivité équilibrées ; la formation spirituelle, car nous ne sommes pas des fonctionnaires du sacré, chargés seulement d’exécuter le culte selon les rubriques ou d’enseigner de bonnes règles morales, et les prêtres sont appelés à être avant tout des hommes « de Dieu », profondément enracinés dans la prière et dans l’amour pour le Christ : « m’aimes-tu ? (…) Sois le pasteur de mes brebis ». L’acquisition d’une bonne intelligence de la foi dans un monde majoritairement païen est aussi un défi à relever dans les séminaires. Les prêtres de demain doivent être solidement formés pour annoncer clairement la vérité de la foi catholique sans se contenter de répéter une doctrine bien apprise mais en développant, à l’instar des Pères de l’Église, une pédagogie de la foi fondée sur l’étude attentive des sens littéral et spirituel de l’Écriture sainte et qui invite à entrer dans une relation vivante avec Dieu qui se révèle et dans un véritable dialogue avec les théologiens et les maîtres spirituels. Cela nécessite quelques capacités intellectuelles mais surtout une vraie liberté intérieure, capable de répondre personnellement et au nom de l’Église aux questions que portent les générations actuelles.

Comment voyez-vous l’avenir des relations de l’Église institutionnelle avec les pouvoirs publics français, dans un monde qui continue de se déchristianiser et où l’Église tend à perdre en influence ? 

En tant que prêtre puis en tant qu’évêque, la Providence m’a fait rencontrer personnellement de nombreuses personnalités politiques de tous niveaux. J’en ai retiré la conviction que les qualités principales de ces personnes devaient être l’humilité, l’écoute, le respect de toute personne humaine sans exception, la capacité intellectuelle d’avoir une « vision », le réalisme et le sens de la vérité. Un peu comme les prophètes, et parfois les philosophes. Or je constate que peu de responsables des affaires publiques possèdent toutes ces qualités. Parmi eux, il est une catégorie que j’admire particulièrement : les maires. J’en rencontre beaucoup, appartenant à tout l’éventail des partis politiques français. Les relations sont souvent excellentes. Ils s’occupent de la vie réelle de leurs administrés, avec dévouement et courage. Les pauvres frappent à leurs portes comme aux nôtres. Nous nous « entendons » bien.
Le problème est ailleurs : dans les débats actuels, nos responsables politiques et notre opinion publique refusent trop souvent d’éclairer puis d’écouter leur conscience. Dès lors tout devient possible, légal, et même peut réclamer d’être protégé par la Constitution pour qu’aucun débat ultérieur ne puisse un jour remettre en cause le choix de la pensée dominante. C’est un grand malheur pour notre société que ce matraquage idéologique qui ne dit pas son nom. La presse pense peu et ne donne la parole qu’à ceux qui pensent « comme tout le monde ». A-t-on encore le droit d’exprimer librement sa pensée, d’émettre des objections, d’inviter à une réflexion plutôt que de se laisser gouverner par la peur de contredire les pulsions les plus superficielles ?
Certes, nous ne sommes plus en « chrétienté ». Mais la mission de l’Église demeure : éveiller ou à réveiller les consciences en débusquant les péchés ou les tentations qui nous menacent : violence, refus du dialogue, fuite vers le recours à la guerre, technocratie, orgueil, passion pour l’argent, idolâtrie du pouvoir, racisme, marginalisation des pauvres ou des personnes handicapées, repli sur soi, hédonisme, culte du seul bien-être individuel …. L’Église est sommée d’intervenir sur tous les sujets mais peu écoutée aujourd’hui dans les sphères du pouvoir et de la presse. Je ne dis pas qu’elle est chargée de faire la morale à tous les citoyens, mais elle a et aura toujours la mission d’appeler, au nom du Christ et de l’Évangile, à un sursaut d’amour et d’intelligence en toutes circonstances. Les martyrs – je pense par exemple au Père Popieluzko ou aux moines de Thiberine – sont plus éloquents que nos tribuns les plus influents. Jésus est plus fort qu’Hérode qui le traite comme un faible et plus puissant que Pilate qui prétend avoir tout pouvoir sur lui. Le représentant de l’empereur n’a d’autre pouvoir que celui que Dieu lui donne. Car en réalité seul Dieu est vrai Roi. Seul le Christ porte une couronne indépassable, celle de l’amour livré sans réserve. Quand on y réfléchit bien, la conversion des cœurs compte davantage que les grandes décisions politiques.

Quel regard portez-vous sur les débats éthiques qui traversent notre vie politique ? Quel doit être le rôle de l’Église et de ses évêques dans la conversation civique ? 

Notre conception chrétienne de la politique repose sur un contenu simple : le service du bien commun. Ce dernier adjectif est en général mis en avant dans un esprit « démocratique » : on veut savoir ce que désire la majorité et l’on tâche de la satisfaire. Le problème, c’est que les deux autres termes, le service et le bien, sont trop ignorés. On avance avec l’idée que la pensée majoritaire est la seule bonne manière de penser. Dans les débats éthiques, c’est bien là que le bât blesse. Au fond, on manque d’intelligence. On fonde les raisonnements sur l’émotion, qui se révèle bien souvent mauvaise conseillère. Les débats politiques sur le début et la fin de la vie, sur le handicap, sur la santé, sur le travail, sur l’éducation et sur bien d’autres sujets ne reposent pas sur une réflexion anthropologique sérieuse. C’est à mon avis très grave. Le roi devrait être à l’écoute du prophète qui veut vivre et dire la vérité, et il ne l’est pas. Or nous, les baptisés confirmés, nous avons été constitués prêtres, prophètes et rois. Nous avons reçu de Dieu cette capacité de l’âme et de l’esprit qui nous permet de devenir peu à peu, en nous convertissant sans cesse, de vrais promoteurs du bonheur de l’humanité, des experts en matière de respect de la nature humaine. L’Église entière, malgré les péchés parfois scandaleux de certains de ses membres, malgré le fait que nous sommes tous de pauvres pécheurs, porte humblement ce trésor de sagesse que le Seigneur a déposé entre ses mains par le ministère des Apôtres. Les évêques, successeurs des Apôtres, reçoivent la mission d’enseigner cette sagesse et de veiller à son écoute, d’en célébrer la venue sanctifiante dans le cœur des chrétiens, et de guider le peuple de Dieu sur ses chemins. Nous sommes peut-être parfois trop craintifs, mais il nous faut aussi garder et cultiver le souci d’être entendus, compris. La pédagogie fait partie de notre mission. Nous ne pouvons pas, ou plus, nous contenter d’énoncer des vérités ou des règles morales. Nous avons cependant le devoir d’annoncer la sagesse du Christ et de l’Évangile, en priant Dieu que notre annonce puisse être cohérente avec notre manière de vivre et qu’elle puisse toucher les cœurs et les tourner vers le Sauveur qui est aussi le « Logos » et qui donne le sens véritable de notre vie, présente et éternelle.

La jeunesse devrait-elle être une préoccupation majeure pour les catholiques en général, et les évêques en particulier ? Comment nous adresser à elle, et quel message lui transmettre en priorité ?

Je suis émerveillé par la jeunesse d’aujourd’hui. Même si les jeunes sont souvent peu éduqués, blessés, désorientés voire désespérés, versatiles dans leurs engagements, peu respectueux de l’autorité, prompts à déraper dans toutes sortes d’idolâtries qui se présentent à eux sous forme d’idéologies ou de drogues, même s’il leur arrive de rechercher le pouvoir pour lui-même, le sexe sans engagement, l’argent facile, l’égoïsme, la velléité, le repli sur le monde virtuel et ses écrans, j’ai l’impression qu’ils sont en train de se rendre compte de toutes ces impasses. Oui, je suis émerveillé de voir des jeunes couples renoncer à des carrières brillantes par amour des plus pauvres, des adolescents plonger résolument dans la prière Des jeunes adultes s’engagent courageusement et saintement en politique, s’occupent des plus jeunes en se formant pour accomplir cette mission. Certains évangélisent leurs semblables avec beaucoup d’audace sur les réseaux sociaux. Ils n’ont pas peur de dire qu’ils croient en Dieu, qu’ils vont à la messe. Beaucoup de jeunes catholiques prennent du temps pour adorer le Saint-Sacrement, œuvrent pour la beauté de la liturgie et de ses chants, cherchent à vivre dans le respect de la création en suivant les voies d’une écologie « intégrale », s’engagent avec énergie pour une paix durable, pour le dialogue en vérité, pour un travail plus humain qui aura du sens à leurs yeux. Certains n’hésitent pas à prendre au sérieux l’ascèse, la confession des péchés, la chasteté, le discernement entre le bien et le mal. Ils savent mieux que leurs aînés qu’il y a dans tout cela de durs combats à mener, mais ils savent aussi que l’Esprit-Saint les aide et les aidera toujours. Ils sont dans l’espérance, qui n’a pas grand-chose à voir avec les utopies des idéologies mortifères du XXe siècle ou de l’anti-idéologie soixante-huitarde, qui est en fait une idéologie. Ils sont de plus en plus nombreux à demander le baptême et la confirmation, à ne pas communier s’ils ne sont pas en état de grâce ou repentants.
Nous devons transmettre à cette jeunesse la vérité de la doctrine de la foi, mais aussi l’envie d’y adhérer et d’y accorder leur manière de vivre. Il me semble urgent de leur offrir, sur leurs écrans ou en « présence réelle », des lieux de formation sérieux. Beaucoup en ont le désir, ne les décevons pas. Offrons-leur le meilleur de la Tradition chrétienne, avec un langage clair, sans trop de détours.
Enfin, nous devons les aider à trouver leur vocation, à donner leur vie. Ils ont besoin d’entendre et de voir des couples mariés heureux et des prêtres et des religieux comblés eux aussi de cette joie que Dieu donne lorsqu’on se donne à lui.
Il m’arrive d’imaginer, comme on le ferait dans un ouvrage de science-fiction, ces jeunes dans 50 ans, qui diraient à leurs aînés encore vivants : « pourquoi n’avez-vous rien dit quand on a promu l’avortement il y a 50 ans, quand on a continué à gâcher les dons de la nature, quand on a menti aux enfants et aux jeunes sur l’identité sexuelle, sur la vie éternelle, sur l’obligation de la messe dominicale, ou sur d’autres sujets concernant la foi et les mœurs ? ». Que répondrons-nous ?

Propos recueillis par Élisabeth Geffroy et Christophe Geffroy

© LA NEF n° 373 Octobre 2024 (version longue et intégrale de l’entretien réduit publié dans la version papier)

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Messes du 21 au 27 octobre 2024

Semaine 42

Lundi 21 octobre – de la férie

  • Messe à l’église de La Madeleine à 18:30

Mardi 22 octobre – S. Jean-Paul II, pape

  • Centre Bethléem de 8:00 à 17:00 – Patronage 
  • Messe à l’église de La Madeleine à 18:30

Mercredi 23 octobre – S. Jean de Capistran, prêtre

  • Centre Bethléem à 15:00 – Réunion SEM
  • Messe à l’église de Bourth à 18:00

Jeudi 24 octobre -S. Antoine-Marie Claret, évêque

  • Centre Bethléem de 10:00 à 12:00 – Réunion secteur
  • Messe à l’église de St Germain de Rugles à 18:00

Vendredi 25 octobre – de la férie

  • Eglise de La Madeleine à 17:30 – Adoration
  • Messe à l’église de La Madeleine à 18:30
  • St Christophe sur Avre de 20:30 à 21:30 – Réunion 4 villages (St Christophe sur Avre, Chennebrun, Armantière, Gournay le Guérin)
  • Eglise Notre-Dame à 9:15 – Laudes
  • Messe à l’église Notre-Dame à 9:30
  • Eglise des Bottereaux à 11:00 – Baptêmes
  • Eglise de la Madeleine à 15:00 – Mariage de Tristan Galendo & de Mylène Baguet
  • Messe à l’église de Bâlines à 18:00
  • Messe à l’église de St Germain de Rugles à 9:15
  • Messe à l’église de La Madeleine à 11:00

Messes du 28 octobre au 3 novembre 2024

Semaine 43

Lundi 28 octobre – Saint Simon et Saint Jude, apôtres

  • Messe à l’église de La Madeleine à 18:30

Mardi 29 octobre – de la férie

  • Centre Bethléem de 8:00 à 17:00 – Patronage 
  • Messe à l’église de La Madeleine à 18:30

Mercredi 30 octobre – de la férie

  • Messe à l’église de Pullay à 18:00

Jeudi 31 octobre – de la férie

  • Fête de Toussaint pour les enfants à l’église de St Germain de Rugles de 15:00 à 19:00
  • Messe de Toussaint à l’église de St Germain de Rugles à 18:00

Vendredi 1 novembre – Tous les Saints

  • Messe de Toussaint à l’église de Bourth à 9:15
  • Eglise de la Madeleine de 10:00 à 10:30 – Chapelet de la confrérie
  • Messe de Toussaint à l’église de La Madeleine à 11:00
  • Messe de Toussaint à l’Ehpad de Rugles à 15:00
  • Eglise de la Madeleine de 10:00 à 10:30 – Chapelet de Montligeon
  • Messe à l’église de La Madeleine à 11:00
  • Messe à l’église de Bois-Arnault à 18:00
  • Messe à l’église de Bourth à 9:15
  • Messe à l’église de La Madeleine à 11:00