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3ème Dimanche du temps ordinaire
Frères et sœurs,
L’Evangile que nous venons d’entendre nous rapporte l’appel des 4 premiers disciples. Je vous propose de relire cette page d’Evangile, ainsi que les textes que nous propose la liturgie de ce jour, à la lumière d’une invitation de Jésus à la liberté.
La première lecture extraite du Livre de Jonas nous montre combien Dieu estime et même compte sur la liberté de l’homme. Si les hommes ne se convertissent pas, Ninive sera détruite. Et Jonas nous dit : « En voyant leur réaction et comment ils se détournaient de leur conduite mauvaise, Dieu renonça au châtiment dont il les avait menacé. » Trop souvent on pense le plan de Dieu comme quelque chose d’écrit à l’avance qui, inéxorablement, s’appliquera. Or, les choses ne se passent pas comme cela. Dieu n’écrit rien à l’avance. Parce qu’Il est en dehors du temps, Il voit non seulement ce qui se passera, mais aussi comment l’homme va réagir. Mais le fait que Dieu voit en même temps ce qui se passe dans le présent et nos réactions ou nos décisions dans l’avenir ne signifie pas que c’est Lui qui écrit d’avance les choses. Notre liberté est donc fondamentale dans le plan de Dieu, et Dieu ne se substitue jamais à notre liberté. Il l’a voulue, Il l’honore et la respecte. C’est ce qui nous distingue fondamentalement des protestants. Chez les Protestants, la toute-puissance de Dieu l’emporte sur la liberté de l’homme ; chez les catholiques, Dieu passe et compte sur la liberté de l’homme : sa toute-puissance s’auto-limite devant la liberté de l’homme ; et la liberté de l’homme a son importance dans le Salut que Dieu nous offre.
Allons plus loin : Dieu est le créateur de notre liberté. Et comme Il est l’Amour et la Vérité totale et parfaite, Il est la Liberté par excellence. C’est donc Lui qui nous rend libres et fait grandir notre liberté. C’est à cette liberté radicale que nous invite St Paul dans la deuxième lecture : « Que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas ; que ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient pas, etc… » St Paul ne nous invite pas à rejeter ce monde, mais il nous invite à une liberté totale par rapport à notre monde parce que le but de notre vie est la vie avec Dieu et non la vie ici-bas.
Mais pour grandir dans la liberté, il nous faut passer par des ruptures nécessaires et vitales. Pour qu’un nouveau-né vienne au monde, il doit se séparer du ventre de sa mère : première rupture fondamentale. Pour que l’Eglise entre pleinement en mission, il faut que Jésus Ressuscité monte au Ciel : séparation vitale. Toute avancée dans la liberté passe par des ruptures, par des dé-fusions. L’Evangile de ce jour nous invite à deux types de ruptures : rupture par rapport à nos relations, rupture par rapport à nos activités. Pour Simon et André, l’Evangéliste nous dit : « Aussitôt, laissant là leurs filets, ils le suivirent. » Pour Jacques et Jean, l’Evangéliste nous dit : « Alors, laissant dans la barque leur père avec ses ouvriers, ils partirent derrière lui. » Ruptures avec les activités : laisser les filets. Rupture avec les relations : laisser le père et les ouvriers.
L’image des filets est intéressante. Certes, les filets sont l’instrument de travail de ces pêcheurs de Galilée…mais les filets évoquent aussi ce qui bloque, ce qui retient, ce qui empêche d’être libre. Ne dit-on pas : il est pris dans son filet ?Les filets qui retiennent n’évoquent pas seulement le péché qui entrave la liberté. Il y a des activités qui empêchent d’être libres pour Dieu. Cela peut être professionnel, mais aussi de l’ordre des loisirs.
Et puis, il y a aussi des relations qui empêchent d’être libres pour Dieu. Généralement, ce sont des relations de proximité, donc de l’ordre familial ou amical. C’est à cette lumière qu’il nous faut relire, chacun, nos propres réponses à Dieu. Dire « oui » à Dieu implique nécessairement de dire des « nons ». Dire « oui » à Dieu implique des choix à faire et à assumer. C’est comme dans le mariage : dire « oui » à son mari ou à sa femme implique de dire « non » aux autres. Regardons dans notre vie quels peuvent être les filets qui nous retiennent dans les activités, les relations, et qui nous empêchent d’être libres. Regardons aussi en vérité les ruptures que nous n’arrivons pas forcément à faire. Non seulement, les ruptures sont nécessaires pour répondre toujours plus librement « oui » à Dieu, mais aussi elles sont le passage obligé pour grandir en liberté. En fait, plus nous répondons « oui » à Dieu, plus nous devenons libres.
C’est un des paradoxes de notre société actuelle. On confond en fait l’exercice du libre-arbitre, c’est-à-dire le fait de pouvoir faire des choix, de dire « oui » ou « non », avec la liberté. Le libre arbitre n’est pas la liberté. C’est un lieu d’exercice de notre liberté ; mais on ne peut pas réduire la liberté à l’exercice de notre libre arbitre. Quand on comprend cela, on comprend toute l’erreur de bons nombres de parents demandant le baptême pour leurs enfants et qui nous disent : « Je souhaite que mon enfant soit baptisé, mais après il choisira librement. » On réduit ici la liberté à l’exercice du libre-arbitre, c’est-à-dire au fait de dire « oui » ou « non » au catéchisme. D’abord, l’inscription au catéchisme fait partie de la demande de baptême, mais surtout c’est Dieu qui éveillera et fera grandir la liberté du baptisé. En fait, il ne faut pas dire : « et ensuite mon enfant choisira », mais il faudrait dire : « Dieu fera grandir mon enfant en liberté. » Et puis l’autre erreur fondamentale et grave de ce raisonnement, c’est qu’on met de côté en fait la liberté de l’homme. C’est-à-dire que Dieu ne fait rien en l’homme sans éveiller et passer par la liberté de l’homme. En somme, de tels raisonnements empêchent l’ouverture à la vraie liberté que Dieu permet et à laquelle Il nous invite. L ’exercice de notre liberté, le fait de grandir en liberté, est indissociable de Dieu. Répondre « oui » à Dieu est et sera toujours le lieu d’une croissance dans notre propre liberté humaine. Dit autrement, répondre « oui » à Dieu est ce qui libère profondément l’homme.
Puisque nous avons médité sur la liberté et sur les appels de Dieu, je voudrais juste terminer en vous faisant remarquer la manière dont Jésus appelle à sa suite. Il n’appelle pas parmi ceux qui le suivent, les foules. Il appelle des personnes nouvelles, qui ne le suivent pas encore. Il les appelle sur leur lieu de travail, d’activités, dans leurs relations quotidiennes. Trop souvent, l’Eglise a du mal à appeler des personnes nouvelles. Quand il y a besoin d’une personne pour telle ou telle mission, on cherche tout le temps qui parmi nous pourrait faire cela. Erreur ! Il faut chercher en dehors ; il faut appeler d’autres personnes nouvelles. Il ne faut pas forcément attendre qu’elles viennent ; il faut aussi pouvoir appeler, avoir l’audace d’aller là où on ne va pas pour appeler. C’est comme cela que l’Eglise demeure un corps vivant et en croissance. Sinon, c’est la mort.
Frères et sœurs, ne passons pas à côté des appels que Dieu nous offre. Ils sont parfois difficiles, coûteux dans les ruptures qu’ils impliquent, mais il y a une chose de sûre et de certaine : c’est qu’ils sont pour notre bonheur, pour un bonheur plus grand. Amen !