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25ème Dimanche du Temps Ordinaire
Frères et sœurs,
Voici une parabole qui reste hermétique si nous ne la comprenons pas bien. On peut en trouver la clé de lecture dans la première lecture que nous avons entendue : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes chemins ne sont pas vos chemins » dit le Seigneur.
Le premier élément que je souhaiterais relever, c’est l’appel incessant du maître de la vigne. Le maître ne cesse d’appeler et d’embaucher. Au petit matin, à 9 heures, à midi, à 3 heures puis à 5 heures. Je reviendrai plus loin sur la nature du travail à la vigne et sur l’embauche. A travers ses sorties répétées et ses appels répétés, on voit que Dieu ne se satisfait pas que certains restent dehors, sans rien faire, que Dieu ne se satisfait pas que certains restent en dehors de la vigne. C’est un petit peu comme le maître de maison qui organise un repas et force presque tous les gens qu’il croise à entrer.
Alors, il y a plusieurs manières d’interpréter ces différentes sorties et surtout les heures de ces sorties. Tout d’abord, on peut y voir la patience de Dieu, sa charité parfaite, qui le pousse à appeler jusqu’au bout à la conversion. Il n’est jamais trop tard pour Dieu, souvenons-nous de cela. Il est, comme le dit une préface de la messe, « Maître des temps et de l’histoire. » Dieu patiente ; en fait, c’est nous qui le faisons attendre ; parce qu’on n’entend pas ses appels ou parce qu’on refuse ses appels ou encore parce que l’on fait passer autre chose avant.
On peut encore envisager des différentes heures comme les différents âges de la vie où nous rencontrons Dieu et où nous entrons dans le travail à la vigne. Ceux qui travaillent depuis le matin sont ceux qui ont été plongés dans la foi dès le plus jeune âge ; à 9 heures, cela peut être pendant l’adolescence, à midi, vers le milieu de sa vie ; à 3 heures, on peut dire à l’âge de la retraite et puis à 5 heures à la fin de sa vie. Cette parabole nous dit que sans cesse Dieu appelle et, si nous prenions conscience d’avoir manqué un de ses appels, alors Il repassera.
Maintenant, entrons dans le point chaud de cette parabole : la question du juste salaire. Vous remarquerez qu’au début le maître de la vigne se met d’accord sur le salaire d’une pièce d’argent et qu’après, il n’est plus question d’une pièce d’argent, mais de ce « qui est juste ». Alors si nous lisons cette parabole avec un regard exclusivement humain, nous trouvons en effet que le maître est injuste. Il ne tient pas compte de la pénibilité pour reprendre un terme à la mode chez nos hommes politiques. Mais ce n’est pas le sens de la parabole. Pour comprendre ce que Jésus veut dire, il faut éclaircir la question du travail à la vigne. Travailler à la vigne, ce n’est pas seulement travailler pour l’Eglise, ou pour la paroisse ou pour une institution religieuse, c’est aussi travailler à son Salut, au salut de nos frères et sœurs. C’est faire connaître la Bonne Nouvelle du Salut qui nous est offert. Dès lors, on comprend la parabole : heureux ceux qui travaillent à la vigne depuis le matin. Ils ont connaissance de cette grâce du salut auquel ils travaillent pour eux-mêmes, pour les autres. Cette connaissance illumine et transforme leur vie. Ils devraient en conséquence se réjouir que d’autres arrivent et prennent place. Et on comprend la promesse du maître de la vigne pour les embauchés qui viennent après : « ce qui est juste » c’est le don du salut.
Le ciel, c’est la récompense de tous ceux qui se donnent et qui travaillent à la vigne du Seigneur.
Malheureusement, l’Eglise n’est pas épargnée par l’intrusion de l’argent dans l’exercice de sa mission. Pour une part, elle en a besoin pour tous ceux qui ont donné leur vie les prêtres, les sœurs, pour la mission, pour ceux qui sont en difficulté, enfin tout cela vous le savez. Mais parfois, une mentalité de gestion d’entreprise est entrée dans l’Eglise, pervertissant le dynamisme missionnaire et la gratuité de cœur des ouvriers de la vigne. Un grand nombre de diocèses aujourd’hui déficitaires sont ceux qui ont embauché et employé des laïcs à tour de bras. La mission dans ces diocèses s’en est-elle trouvée mieux ? pas du tout ! Au contraire. Parce que ce que l’on a oublié, c’est que la fécondité de la mission est un don de Dieu qui agit à travers nos dispositions. Bien sûr, il peut y avoir et heureusement qu’il y a des gens rémunérés qui agissent avec cœur, mais l’ expérience montre que l’intrusion généralisée de l’argent en pastorale pervertit et dénature la gratuité. Ce qui fait la valeur et la beauté d’un engagement c’est la gratuité et l’amour qu’on y met, avec comme récompense, celle de travailler à son salut et à celui de nos frères et sœurs.
Pour tous ceux qui ont la chance de travailler à la vigne du Seigneur, même si parfois nous sommes fatigués, nous en avons marre, même si parfois il y a des tensions, des petites histoires, des conflits de personne, nous devrions d’abord nous réjouir d’avoir la chance de travailler à la vigne du Seigneur. Après, plus nous sommes, plus le travail peut être réparti, et donc plus léger. Il faut réellement se réjouir de l’arrivée de nouveaux ouvriers. Un des défis majeurs aujourd’hui pour l’Eglise dans des paroisses comme la nôtre est le renouvellement et le rajeunissement des équipes : non pas que l’on mette dehors les gens, pas du tout, tout le monde a sa place, mais il faut penser à préparer l’avenir. Ce que la parabole nous dit aussi, c’est que le maître de la vigne insiste pour que d’autres ouvriers s’engagent. Il sort, il appelle et il embauche. Il ne demande pas à ceux qui sont déjà là de tout faire. Il sort. Pour grandir, pour continuer à se développer, notre paroisse doit aussi sortir ; cela veut dire concrètement appeler des personnes nouvelles qui ne sont pas déjà au travail de la vigne. Sinon, nous allons nous épuiser et épuiser tout le monde. Vous savez : Jésus pour choisir ses apôtres a choisi des hommes qui ne faisaient pas forcément partie des foules qui le suivaient. Il a appelé des pécheurs qui travaillaient à côté. Je crois qu’il y a une véritable conversion du cœur et du regard à vivre ici au risque sinon de nous scléroser. Par ailleurs, la gratuité de nos engagements les uns les autres, rendra plus généreux et féconds nos liens entre nous.
Demandons la grâce au Seigneur de pouvoir être appelants, invitants, en reprenant conscience qu’il ne s’agit pas seulement de nous alléger du travail (même si c’est important), mais qu’il s’agit aussi et avant tout de travailler au Salut que l’Eglise nous offre. Amen.