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Nativité de St Jean-Baptiste
Frères et sœurs,
St Jean-Baptiste a une place particulière dans la foi des chrétiens et dans la foi de l’Eglise. En effet, l’Eglise ne commémore la nativité et la mort d’aucun autre saint. St Jean-Baptiste est le seul, avec Jésus évidemment.
Les deux sont très liés, intimement liés même. St Jean-Baptiste précède en tout, dans sa vie, ce que vivra Jésus. Je souhaiterais regarder avec vous aujourd’hui de quelle manière St Jean-Baptiste est une figure importante pour notre monde d’aujourd’hui. Nous entendons souvent, nous disons souvent que nous avons besoin de prêtre pour l’Eglise. C’est vrai. Mais, nous avons besoin aussi de St Jean-Baptiste, de beaucoup de Saints Jean-Baptiste. St Jean-Baptiste est celui qui appelle à Dieu, qui conduit à Dieu. Il n’est pas le Christ, il n’est pas comme les apôtres, mais il conduit à Jésus. Le prophète conduit au Prêtre parfait qu’est Jésus. Il ouvre la porte. Son ministère devient très actuel et nécessaire pour nous qui vivons dans un monde qui ressemble de plus en plus à un désert spirituel ou religieux. Aujourd’hui, l’expression publique de la foi chrétienne est souvent contestée, remise en cause au nom de la laïcité. L’espace réservé à Dieu est trop souvent attaqué (les sonneries de cloches, les crèches –souvenez-vous de la ridicule polémique de Noël-) Sans compter la terrible déchristianisation qui frappe les familles chrétiennes de notre pays. Notre société a besoin de nombreux St Jean-Baptiste pour ré-ouvrir l’espace public à Dieu, pour refaire de la place à Dieu, pour préparer les cœurs à la Venue du Seigneur, pour préparer le peuple de Dieu à accueillir son Sauveur.
Dans ce contexte, 3 caractéristiques me semblent importantes quant à la figure de Jean-Baptiste.
Jean-Baptiste est tout d’abord l’homme du désert. Lorsqu’on l’évoque, c’est souvent cette image qui nous vient à l’esprit. Jean-Baptiste vivant dans le désert, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage, vêtu très simplement. En fait, sa mission va mûrir au désert. Là où la vie est absente, là où Dieu semble absent, mais là où Il est au contraire éminemment présent. C’est dans le désert qu’on entend le mieux le bruit. C’est dans la chaleur qu’on désire la fraicheur. C’est dans les ténèbres qu’on désire la lumière. C’est dans l’apparente absence de Dieu que l’on désire et que l’on s’ouvre le plus à Dieu. Son message fort de retour à Dieu nait symboliquement dans un contexte de désert spirituel.
Le désert, c’est aussi la rupture avec les modes de vie du monde. La figure de Jean-Baptiste prend une couleur particulière comparée à celle de son père Zacharie. Zacharie est un bon chrétien, pourrait-on dire aujourd’hui. L’Evangile nous dit de lui qu’il est, avec sa femme, comme un homme juste. Il est prêtre, s’acquitte de ses devoirs sacerdotaux. Bref, un homme en règle, qui fait bien ce qu’il a à faire. Un bon chrétien. Oui, sauf que Zacharie ne va complètement croire en l’annonce de l’Archange Gabriel. Et de ce fait, il va perdre l’usage de la parole. Le mutisme dont il est frappé est l’expression de son mutisme au moment de l’Annonciation. Il ne croit pas au-delà de ce qu’il fait. Il s’acquitte de ses devoirs, mais n’est pas ouvert à la toute-puissance de Dieu. Il est à l’image du monde dans lequel il vit. Il est enfermé dans la vision humaine de Dieu, de ce qui est normal, de ce que les hommes peuvent imaginer ou concevoir. Mais ne sommes-nous pas nous aussi à l’image de Zacharie ? sourds-muets devant Dieu ? Ne sommes-nous pas aussi parfois prisonniers de l’esprit du monde ? qui nous dit comment penser ? que penser ?
Et c’est là, frères et sœurs, que la figure de Jean-Baptiste apporte toute sa rupture, toute sa nouveauté qui vient nous ouvrir à Dieu. Jean-Baptiste est l’homme de la rupture avec l’esprit du monde. Il fuit le monde. Mais, contrairement à son père, il est suffisamment libre pour être ouvert à l’inattendu de Dieu, à la nouveauté de Dieu, qui appelle sans arrêt à quitter l’ancien pour vivre de manière nouvelle. St Jean-Baptiste nous apprend à sortir de notre monde, de nous-mêmes pour pouvoir rencontrer Dieu.
Homme du désert, St Jean-Baptiste est aussi l’homme de la grâce. C’est ce que signifie exactement son prénom hébraïque Jochanan. Cela signifie Celui en qui est la grâce, celui en qui naît la grâce. Son prénom note une nouvelle fois une rupture avec l’ancien testament. D’habitude chez les Juifs, on donne aux enfants le prénom des parents, grands-parents. Cette rupture, nous la retrouvons à nouveau dans sa mission. Le prénom chez les Hébreux, non seulement donne l’identité de celui qui le porte, mais aussi la mission. Son père était un serviteur du culte. Le Fils sera celui qui, habité par la grâce, conduit à la grâce.
St Jean-Baptiste nous apprend que la grâce naît en nous par l’accueil de la Parole de Dieu. La Parole de Dieu n’est pas une parole comme une autre. Elle jaillit du silence, du désert. Elle donne vie, apporte la lumière, éclaire notre intelligence et nourrit notre coeur et notre âme. Elle transforme notre être. Voilà comment peut naître en nous la grâce de Dieu. Il faut regarder en nous si la méditation, la lecture de la Parole de Dieu nous nourrit, nous retourne intérieurement. Sinon, c’est que nous sommes dans une relation superficielle avec Dieu. St Jean-Baptiste nous apprend encore, une fois que la grâce naît en nous, à la redonner. Ce sont les deux mouvements de son identité de prophète. Le prophète est celui qui écoute la parole de Dieu et qui la redit. Dans notre monde déchristianisé, dans nos familles où la foi a été abandonnée, comment redisons-nous la Parole qui naît en nous ?
Enfin, St Jean-Baptiste est l’homme de l’humilité, de l’effacement, au point même qu’il s’identifiera à quelques heures de sa mort avec l’échec de sa mission. St Augustin a beaucoup réfléchi sur le lien intime reliant Jean-Baptiste à son cousin Jésus ; lien intime qui dépasse les liens de famille. Il développe cette image : si Jésus est le Verbe, la Parole, Jean-Baptiste est la voix. La voix qui permet la Parole, qui permet la transmission, mais aussi la voix qui disparaît une fois que le son est terminé alors que le Verbe reste et demeure. Jean-Baptiste et Jésus sont aussi liés l’un à l’autre que la voix à la parole. Tout est dit dans cette image. Jean-Baptiste n’a d’autre raison d’exister que de faire advenir la Parole, le Verbe. Une fois que cela est fait, il se retire ; il n a plus de raison d’être. Il le vit avec ses propres disciples. Lorsqu’il va les engager à l’abandonner lui-même pour suivre Jésus : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Il le dira aux pharisiens venus enquêter : « Il faut qu’Il croisse et moi je diminue ». St Jean-Baptiste sait se retirer, s’effacer pour laisser Jésus œuvrer et travailler. Là aussi, il nous redit que nul n’est indispensable, même dans l’Eglise. A trop s’accrocher aux fonctions, aux services que nous rendons, on risque de prendre la place de Dieu et de le cacher.
Cette humilité très profonde qui habite le cœur de Jean-Baptiste connaîtra même des heures noires à quelques heures de sa mort. Arrêté, emprisonné, après avoir annoncé à tout le monde la venue du Messie, sachant que sa mission est terminée, Jean-Baptiste va connaître un doute effroyable : me suis-je trompé ? Et, inquiet, désemparé, il envoie des disciples demander à Jésus : « Es-tu celui qui devait venir ou devons-nous en attendre un autre ? » Vous voyez jusqu’où il aura été : aucune trace d’orgueil d’avoir été celui qui a eu la plus haute mission, celle de désigner le Messie, de le cotoyer. St Jean-Baptiste est aussi l’homme du doute qui nous redit que le doute, parfois radical, terrible, fait partie de la vie de foi, qui nous redit que le doute est signe de vie, signe d’une foi qui respire. Le doute n’est jamais un danger pour la foi, car, comme écrivait le philosophe Nietzsche, ce n’est pas le doute qui rend fou, mais la certitude.
Voici, frères et sœurs, un certain nombre de traits relatifs à cette figure importante qu’est Jean-Baptiste qui nous éclairent sur notre vie de disciple de Jésus dans notre contexte de société déchristianisée. Demandons à St Jean Baptiste qu’Il nous donne la force de vivre les ruptures nécessaires pour que notre foi se réveille et redevienne missionnaire. Amen !