À chaque révolution cognitivo-industrielle, son lot d’interrogations éthiques et anthropologiques. Défendant la dignité et la liberté de la personne humaine, l’Église catholique nourrit le débat sur l’IA à différentes échelles. L’Académie pontificale pour la Vie y contribue à travers l’Appel de Rome pour une IA éthique, signé par diverses entités publiques et privées. Son président, Mgr Vincenzo Paglia, appelle au réveil de l’Europe humaniste avant que la vitesse de la technologie ne la dépasse.
DOSSIER : Intelligence artificielle (IA) Nouveau
Delphine Allaire – Cité du Vatican
Outre le magistère déjà substantiel du Pape sur l’intelligence artificielle, l’Académie pontificale pour la vie, institution liée au Saint-Siège, réfléchit depuis plusieurs années à cette révolution technologique, interpellée par les premiers concernés. Ainsi du président de Microsoft rencontrant pour la première fois le président de l’Académie pontificale pour la vie, raconte ce dernier à Radio Vatican. Fort de ses 50 000 ingénieurs dans un centre de Seattle (États-Unis), soumis aux impératifs de l’innovation, Brad Smith reconnait devant Mgr Vincenzo Paglia des limites parfois floues entre la machine et l’humain, et sollicite alors «l’aide de l’Église» pour mieux les identifier.
La préoccupation trouve un écho immédiat auprès du Pape François. En résulte «l’Appel de Rome pour une IA éthique» signé à Rome le 28 février 2020, sous l’égide de l’Académie pontificale pour la Vie, par Microsoft, IBM, la FAO et le gouvernement italien. En cinq ans, de nombreux autres signataires ont rallié le texte, à l’instar de seize représentants de différentes religions réunis près du Mémorial de la paix d’Hiroshima (Japon), le 10 juillet 2024, de l’entreprise californienne Cisco ou de l’Église d’Angleterre, quelques semaines auparavant.
Les religions forment la conscience éthique de l’IA
Sans faire partie du magistère pontifical à l’instar de la note Antiqua et Nova, l’Appel de Rome pour une IA éthique reflète pareillement la volonté du Saint-Siège de soutenir la centralité de la personne humaine dans cette nouvelle frontière de la technologie. Pour la souligner, Mgr Paglia met en avant le néologisme de «l’algorétique» pour contrecarrer celui de «l’algocratie», soit la tyrannie du calcul d’une IA échappant à la volonté de ses créateurs.
En la matière, les religions, aux côtés des universités et du plus grand nombre, peuvent contribuer à généraliser la conscience éthique de l’IA auprès des grandes entreprises, mais aussi des politiques. L’archevêque italien plaide ainsi pour des règles éthiques et juridiques, édictées par des accords internationaux, notamment concernant la gestion des données massives. «Je rêve d’un accord similaire à celui de Paris en 2015 sur le climat consacré aux technologies émergentes et convergentes, surtout l’intelligence artificielle», souhaite-t-il, interpellant le G20 et les Nations unies «sur leurs responsabilités».
Sauver l’anthropologie chrétienne humaniste
C’est précisément dans l’enceinte du G7 sous présidence italienne dans les Pouilles que le Souverain pontife argentin, assis entre Giorgia Meloni et Emmanuel Macron, plaidait en juin dernier pour «un espace de contrôle humain significatif» sur l’IA. «Le risque réel est que nous technologisions l’humain au lieu d’humaniser la technologie», pointe Mgr Paglia, appelant de ses vœux un sursaut d’humanisme. «Que toutes les sciences se retrouvent comme au temps de la Renaissance. Croyants et non croyants, poètes et physiciens, philosophes et théologiens. Nous tous devons inventer une alliance qui nous aide à sauver l’humain». L’Église dans ce domaine a une responsabilité très forte, estime-t-il, rappelant que les catholiques professent dès l’origine que le Verbe, le logos, est devenu chair. «Il n’est pas devenu avatar», affirme Mgr Paglia, citant les inquiétantes prédictions du physicien japonais Hiroshi Ishiguro, formulées il y a quelques années lors d’un congrès au Vatican. Ce détenteur de son propre clone parle en effet de l’humanité actuelle comme de la dernière génération organique, la prochaine étant envisagée comme synthétique, composée de lithium ou d’autres matières. «Nous serions confrontés à une transformation radicale de ce qu’est l’être humain.»
La responsabilité européenne
Pour prévenir et sensibiliser le plus largement à l’approche éthique de l’IA, l’homme d’Église parcourt le monde pour présenter l’Appel de Rome, comme ce fut le cas en Inde il y a tout juste un an. Dans le pays le plus peuplé du monde, Mgr Paglia a récolté la signature des évêques, devenus membres de la première conférence épiscopale à apposer son nom au texte. Aujourd’hui, l’Inde co-préside le sommet de Paris sur l’IA où Mgr Paul Richard Gallagher représente le Saint-Siège. Observateur attentif de ces journées dans la capitale française, Mgr Paglia attend beaucoup de l’Europe, appelée à se réveiller dans cette course dominée par le duopole sino-américain. «L’Europe a une sensibilité particulière grâce à sa tradition bimillénaire ou trimillénaire d’humanisme, il est nécessaire de l’insérer dans ce monde technologique qui s’est développé surtout en Chine et aux États-Unis», relève-t-il. Désavantagé sur le plan des ressources, le Vieux continent doit devenir, selon Mgr Paglia, plus responsable dans le développement de la technologie et de la recherche scientifique pour l’insérer dans le domaine anthropologique. Condition sine qua non, «nous courons le risque que la vitesse de la technologie surpasse la lenteur de l’humanisme, la lenteur des règles», craint-il, bien désireux de faire démentir la célèbre boutade: «Les États-Unis innovent, la Chine copie, l’Europe règlemente».
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