Bx Robert d’Arbrissel (v. 1047 – v.1117), confesseur, fondateur de l’ordre de Fontevraud.
C’est une des figures les plus remarquables de la fin du XIe siècle et du commencement du XIIe siècle. La puissance merveilleuse de sa parole, les innombrables conversions qu’il opéra dans toutes les classes de la société, le nouvel institut monastique dont il fut le père, son influence étonnante et les persécutions qu’il eut à subir, en font un des Saints dont l’action s’est fait le plus sentir dans l’Église.
Parcourant la Bretagne, le Maine et l’Anjou, ce prêtre breton cultivé et austère entraîna à sa suite une foule de disciples qu’il regroupa d’abord dans la forêt de Craon, puis il fonda l’abbaye de Fontevrault, l’une des grandes cités monastiques d’Europe, dans le Val de Loire près de Saumur. Il plaça son Ordre monastique sous le vocable de Notre-Dame du Calvaire. A sa mort, l’Ordre comptait une cinquantaine de maisons.
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Robert est né vers 1055-1060 au village de La Bussardière, à coté d’Arbrisse[l, près de La Guerche-de-Bretagne. ]Fils du curé de la paroisse d’Arbrissel, Robert prend la succession de son père. Il se marie.
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Après avoir suivi l’enseignement des maîtres qui professaient à Paris, Robert remplit les fonctions d’archidiacre du diocèse de Rennes, son pays d’origine. Il devient un fervent défenseur de la Réforme grégorienne qu’il essaie d’imposer au clergé du diocèse de Rennes. En luttant contre le nicolaïsme et la simonie, bref son zèle pour la réforme du clergé, il souleva contre lui des haines implacables, qui le contraignirent à se retirer à la mort de Sylvestre de La Guerche, l’évêque qui le protégeait.
Ensuite, il part étudier à Paris puis se réfugie à Angers. Il étudie de nouveau et sa volonté d’expier ses fautes passées l’amène à devenir ermite dans la forêt de Craon.
[]Vers 1095, Robert d’Arbrissel fait siens les principes de pauvreté prônés par la réforme du bon pape Grégoire VII et attire les foules par de fougueuses prédications.
Des compagnons le suivirent, ce qui lui permit de fonder l’abbaye de la Roë. Ils y menèrent la vie des chanoines réguliers. Urbain II, lors de son séjour à Angers prêchant « un pèlerinage nationale pour défendre le tombeau du Christ profané par l’Islam » (1096), le fit prêcher en sa présence et lui donna plein pouvoir d’annoncer en tous lieux la parole divine. Ayant consolidé son oeuvre, il devint, revêtu de pouvoirs spéciaux par le Pape, missionnaire apostolique pour toutes les parties du monde, et désormais, le bâton à la main, n’ayant pour richesse que la pauvreté, il parcourt spécialement la France, et renouvelle les merveilles des plus grands apôtres chrétiens dans la plupart de nos provinces.
Deux de ses compagnons de solitude, Bernard de Ponthieu et Vital de Mortain, le suivirent dans ses courses apostoliques avant d’aller fonder, l’un le monastère de Tiron au diocèse de Chartres, l’autre, celui de Savigny au diocèse d’Avranches, destinés à devenir des chefs de congrégation.
Robert parcourut d’abord l’Anjou, la Touraine et le Poitou. Sa prédication soulevait l’enthousiasme des foules ; parmi ceux qui l’avaient entendu, beaucoup abandonnaient leurs familles et s’attachaient à ses pas. Ce cortège se composait d’hommes et de femmes ; on y voyait un grand nombre de pénitents et de pénitentes. Cette foule menait une sorte de vie religieuse, dont les conditions étaient prescrites au jour le jour par Robert. Cette communauté nomade excitait la curiosité publique. Elle finit bientôt par éprouver le besoin de se fixer. Les dames étaient fort nombreuses et quelques frères se fixèrent auprès d’elles et se chargèrent de leur service temporel et religieux. Cela se passait vers 1099.
L’évêque Marbode, et un concile réuni à Poitiers en novembre 1100, somment Robert de soumettre son “troupeau” des deux sexes à une règle. Ce qui l’engage à fonder une abbaye double dans le vallon de Fontevrault, constituée à l’origine d’un simple village de huttes bâti autour d’une source nommée la fontaine d’Evrault (“fons Ebraldi”).
Il s’agit d’un monastère double et non mixte, c’est-à-dire que Robert s’engage à ce qu’à aucun moment il n’y ait de contact entre un moine et une moniale. Il répartit ses adeptes en quatre lieux distincts : le Grand-Moustier avec les contemplatives qui se consacrent à l’office divin, des moniales de chœur, Sainte-Marie Madeleine avec des sœurs converses, des femmes ayant vécu dans le siècle, Saint-Jean-l’Habit pour les moines et Saint-Lazare pour les sœurs qui soigneront les lépreux qui seront, eux, hébergés à l’extérieur.[
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La première communauté de Fontevrault se composait ainsi d’hommes et de femmes. Le pieux fondateur lui donna une organisation très originale. Avec la recherche du symbolisme évangélique, commune à la plupart de ses contemporains, il vit surtout dans les femmes le sexe auquel appartenait la Vierge Marie. Voulant l’honorer en elles, il leur donna la supériorité sur les religieux ; la soumission des moines à l’abbesse devait rappeler celle que les apôtres témoignaient à Notre-Dame.
Cette pensée et les usages par lesquels il la fit passer dans la pratique donnent à l’ordre de Fontevrault sa physionomie propre. Moines et moniales habitaient des monastères séparés et suivaient dans ses grandes lignes la règle de Saint-Benoît, modifiée et complétée par les prescriptions de Robert d’Arbrissel.
Il confia à deux femmes, les plus fidèles de ses disciples, Hersende de Champagne et Prétronille de Chemillé (qui a 22 ans), qui fut plus tard la première abbesse de Fontevrault, le soin de veiller à la construction et à l’organisation du monastère, pendant qu’il poursuivrait lui-même ses courses apostoliques. Il parcourut ainsi les diocèses de l’ouest et du centre, remuant partout les foules, opérant des conversions extraordinaires et entraînant vers les solitudes des femmes de toutes conditions.
Les évêques, les princes et les rois comptaient avec lui. Il obtint de Philippe Ier le renvoi de Bertrade de Montfort, son épouse illégitime ; ce que personne n’avait pu obtenir. Robert interrompait de temps en temps ses prédications pour revenir à Fontevrault et pour fonder de nouveaux monastères, qu’il peuplait de ses religieuses. Ces fondations recevaient le titre de prieurés et restaient sous l’entière dépendance de Fontevrault, ne formant avec lui qu’une seule congrégation, dont l’abbesse était le chef unique. Partout une communauté d’hommes s’attachait au service des moniales. Il y en eut dans les diocèses de Poitiers, de Bourges, d’Orléans, de Limoges, de Chartres. Les Loges, Chantenois, Lencloître, La Puïe, La Lande, Tuçon en Poitou ; Orsan, dans le Berry ; La Madeleine d’Orléans sur la Loire ; Boubon ; le prieuré de la Gasconnière, le couvent de Cadouin et celui de Haute-Bruyère près de Chartres.
Robert d’Arbrissel mourut, le 24 février 1117.
Epilogue
Pétronille de Chemillé gouvernait depuis bientôt deux ans, de par sa volonté, l’abbaye et l’ordre de Fontevrault. Les soupçons, que le caractère de sa mission et de son oeuvre avait fait naître, tombèrent d’eux-mêmes. Il avait du reste pris ses mesures, en sollicitant l’approbation formelle du Souverain Pontife. Paschal II confirma sa fondation le 25 avril 1106 et le 5 avril des années 1112 et 1117. Calixte II fit mieux encore, puisqu’il alla personnellement consacrer l’église et l’abbaye, en 1159.
Sous le gouvernement de Prétronille et des abbesses qui lui succédèrent, on continua à fonder de nouveaux prieurés. Il y en eut en France et en Angleterre. La domination anglaise sur l’Anjou et les provinces voisines établit des relations étroites entre Fontevrault et les souverains. Henri II, roi d’Angleterre, Éléonore d’Aquitaine et Richard Coeur de Lion, y furent enterrés. Dans la suite, la famille royale de France fournit à cet ordre plusieurs abbesses et un certain nombre de religieuses. Il se recruta longtemps parmi les filles de la plus haute noblesse française. Nul autre monastère ne présente une pareille liste de noms illustres.
Le onzième siècle fut l’âge d’or de Fontevrault. Mais la décadence ne se fit pas attendre. On la voit poindre dans les dernières années du siècle. Elle ne se manifeste point par des désordres scandaleux. On remarque seulement une diminution dans la ferveur religieuse et dans les ressources matérielles. En somme, l’ordre conserve, avec sa renommée, une situation unique. Il connut cependant des heures de détresse pendant le douzième siècle. Elles s’aggravèrent singulièrement plus tard, quand les rois d’Angleterre et de France furent aux prises.
A la suite de la réforme du XVIIe siècle, les prieurés furent distribués en quatre provinces. Les moniales, qui avaient atteint le chiffre de cinq mille au douzième siècle, restèrent encore nombreuses jusqu’à la fin. Il y en avait deux cent trente dans l’abbaye, vers 1670 ; le nombre de moines s’élevait à soixante. Les religieuses étaient encore au nombre de deux cents au moment de leur suppression (1790). Les moines alors ne formaient une communauté véritable qu’à Fontevrault. Ils étaient d’ailleurs isolés et remplissaient les fonctions de confesseurs et de chapelains des divers prieurés.
Robert d’Arbrissel, qui ne connut jamais de culte manifeste, a en revanche été l’objet des interprétations les plus diverses de la part des historiens : défenseur des exploités pour les uns, promoteur de l’émancipation de la femme pour les autres. Son itinéraire spirituel, qui explique l’étrangeté de la fondation de Fontevraud, est sans doute plus complexe : choisissant de soumettre ses frères aux sœurs par sens de la pénitence, il n’en ouvre pas moins des voies nouvelles pour les femmes, sous le patronage de Marie Madeleine.
Ses audaces dérangèrent et bloquèrent sa canonisation. Il est tout de même fêté avec le titre de « bienheureux » le 25 février.
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Site de 13 ha établi à la frontière angevine du Poitou et de la Touraine, l’abbaye de Fontevraud fut l’une des plus grandes cités monastiques d’Europe.
Initialement monastère mixte, accueillant femmes et hommes au sein des mêmes bâtiments, puis agrandi en monastère double dans l’esprit de la réforme grégorienne, l’abbaye de Fontevraud va s’attirer la protection des comtes d’Anjou puis de la dynastie des Plantagenêts qui en feront leur nécropole. Après un déclin à partir du XIIIe siècle, l’abbaye est dirigée pendant presque deux siècles par des abbesses issues de la famille royale des Bourbons. La Révolution française porte un coup d’arrêt définitif à l’établissement religieux qui se transforme, sur ordre de Napoléon, en établissement pénitentiaire jusqu’en 1963. Les différentes rénovations des édifices débutent dès le XIXe siècle après le classement de l’abbaye au titre des monuments historiques en 1840 []et se poursuivent jusqu’à nos jours. En 2000, l’abbaye de Fontevraud est classée au patrimoine mondial de l’Unesco avec l’ensemble du site culturel du Val de Loire.
L’ensemble monastique se compose aujourd’hui des deux monastères encore subsistants sur les quatre d’origine. Le plus important est le monastère du Grand-Moûtier, ouvert au public, qui héberge l’église abbatiale, la cuisine romane et la chapelle Saint-Benoît du XIIe siècle, ainsi que le cloître, les bâtiments conventuels, dont la salle capitulaire, et les infirmeries du XVIe siècle. Certains des bâtiments hébergent aujourd’hui des salles de séminaire. Le prieuré Saint-Lazare, dont l’église date du XIIe siècle, a été transformé en résidence hôtelière.